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Warax

Apocalypse demain

Pavel Hak, né en 1962 en Bohême, écrit tous ses livres en français depuis « Safari » (2001). Son nouveau roman, « Warax », ressemble à une apocalypse anticipée. Pas moins de cinq récits s'entrecroisent en simultané, tous marqués au sceau d'une imminence fatale. Voici d'abord Ed Ted Warax, patron d'une multinationale d'armements, qui tisse la toile de ses manipulations bellicistes en complotant dans les coulisses des crises internationales. Dans le même temps, sur le rio Grande, des immigrés clandestins tentent de franchir la frontière mexicaine. Au coeur d'une mégalopole, un jeune ambitieux intrigue pour prendre la présidence d'une chaîne satellitaire. Sous le ciel sans lune d'une terre désolée, un homme semble fuir une guerre nucléaire locale. Enfin, nous suivons un commando héliporté lors d'une opération furtive au coeur du Proche-Orient.
« Warax » est un livre fortement marqué par les séries télévisées, la science-fiction, l'esprit de la culture survivaliste. Pavel Hak a sans doute aimé un film comme « 21 grammes », avec ce contrepoint existentiel, cette polyphonie qui nourrit aujourd'hui nombre de fictions cinématographiques et littéraires - voir dans cette rentrée le roman new-yorkais de Colum McCann. Un découpage implacable commande une narration à fenêtres multiples, où se côtoient guerre bactériologique et avions sans pilote, sexe de rencontre et chasse à l'homme, pouvoirs impériaux et pauvreté désespérée. Faire tenir autant de matière dans 188 pages, ce n'est pas de la compression mais de la miniaturisation, comme si un roman pouvait désormais fonctionner à la manière d'une puce électronique.
Dans cet univers de grandes cités, de déserts et d'hémoglobine, l'inconscient des personnages paraît structuré comme un jeu vidéo. Sous la plume de Pavel Hak, le monde contemporain survit à l'enseigne du pessimisme radical : des capitalistes cherchant la destruction profitable, des arrivistes platinés, des immigrants traqués, des forces spéciales rompues à l'élimination impitoyable. On sent chez ce Tchèque de Paris une sorte d'épouvante rétinienne : il a vu un mur tomber en 1989, puis deux tours jumelles s'effondrer en 2001, avant que des chars américains ne roulent dans les vestiges de Babylone. C'est cela aussi qui frappe dans « Warax » : né derrière le rideau de fer, un homme qui avait 6 ans lors du Printemps de Prague regarde aujourd'hui l'univers comme la tragédie annoncée d'une mondialisation déraisonnable.

Marc Lambron