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Trans

Écrivain tchèque de quarante-cinq ans installé en France depuis 1986, Pavel Hak livre ici son troisième roman après les remarqués Safari (2001) et Sniper (2002) tous deux publiés aux éditions Tristram. Après les violences de la guerre, il se penche sur d’autres violences, celle des migrations. Dans Trans, Wu Tse tente de se frayer un chemin dans les dédales d’un monde gagné par le vertige sécuritaire et l’illusion de l’immigration choisie, un monde où tout doit être sous contrôle : les droits politiques, les corps, la circulation des hommes, les frontières... Dans ce monde prospèrent les dictatures, les virus, les injustices et les fermetures nationales, communautaires et autres. Cauchemardesque est l’odyssée de Wu Tse, qui le conduit à fuir la dictature qui sévit dans son pays mais qui, avant de réussir à rejoindre ce qui a tout l’air d’une contrée européenne, échoue dans une jungle, sans doute africaine, infestée de virus meurtriers, ensanglantée par des guerres civiles assassines et des cannibales estampillés autochtones pur sucre, d’autant plus friands de touristes et autres égarés qu’ils sont allogènes et donc marqués du sceau de l’impureté. Cet improbable périple, dicté d’abord par la nécessité et non par le désir “de bénéficier des aides sociales”, comme il se dit en ces temps de braderie présidentielle ici ou là, est marqué par la violence et la déshumanisation : violence de la misère et de la faim qui pousse les ventres vides, candidats à l’exil, à dévorer les cadavres d’autres miséreux, violence des réseaux de passeurs et de travail clandestin, violence des centres de rétention, violence faite aux corps depuis les expérimentations hallucinées d’un Mengele de la jungle africaine jusqu’aux entraves à la libre circulation des hommes, violences, enfin et surtout, infligées aux femmes dans des scènes de viol à répétition et de sexualité bestiale. Mais si Trans se montre, sur un des aspects des migrations contemporaines, d’un réalisme nauséeux, il est aussi conte fantastique où l’humour flotte à la surface de l’insoutenable. À l’image du titre polysémique, l’écriture, gourmande en parenthèses, fonctionne à coups de flashs ; les scènes et les situations défilent donnant un récit haletant de bout en bout. Entre réalité et fable, Pavel Hak montre que l’instinct de survie, l’énergie vitale et la quête d’amour de Wu Tse sont autant de passagers clandestins qui transpercent, traversent interdits, murailles, frontières, folies sécuritaires et autres ghettos de nantis. Entre sapiens et démens, ces deux pôles qui rythment l’histoire de l’humanité (Edgar Morin), il n’est pas certain que la sagesse et le juste soient du côté des respectables et proprets tenants d’une urbanité de façade et d’une idéologie qui fait du gain l’objectif et de l’homme un moyen. Pavel Hak, qui a lui-même connu l’expérience de la clandestinité en Italie, semble dire à ceux qui, “obsédés par religions idéologies origines propriété”, érigent des murs et des interdits : “Les hommes fuyant la misère sont un fléau qu’aucune mesure de sécurité ne peut arrêter. Ils sont des milliers, ne possèdent rien. N’ayant rien, ils ne craignent rien (puisqu’ils n’ont rien à perdre). Et rien ne peut les faire renoncer au rêve de prospérité que la misère a injecté dans leurs têtes.” Trans n’invite pas à un choix naïf et illusoire entre deux mondes, mais montre la part de rêve et de vie que portent en contrebande des hommes et des femmes, fuyards par nécessité et réduits à la clandestinité parce qu’ils transportent avec eux un viatique devenu subversif : l’humanité, une humanité qui, même si elle n’est pas pour tous une et indivisible, aurait intérêt à être un peu plus solidaire.

Mustapha Harzoune