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Safari

Il y a des livres contrariants, des textes qui demandent qu'on les relise coup sur coup parce que quelque chose a résisté, parce qu'on a connu, dans la lecture, la peur de passer à côté. Cette peur, c'est celle qu'on éprouve à lire Safari, le premier roman de Pavel Hak, jeune Tchécoslovaque exilé en France : la peur de se laisser scotcher par la violence fascinante et odieuse d'un récit cru, aux relents pornographiques dignes des pires SAS. En deux parties, l’auteur raconte l'expérience fatale d'un couple de touristes blancs à la recherche d'émotions fortes et celle, menée à la première personne, par un chasseur plus expérimenté. Bref, il embarque personnages et lecteur dans une Afrique sexuelle et militairement corrompue, au bord de la guerre civile. L’écriture décrit par le menu les viols collectifs, les massacres et exécutions sommaires, le tout atteignant parfois le grand-guignol je-m'en-foutiste revendiqué. Le texte, qui délire entre partouzes imbibées d'alcool sur fond de brosse et commentaires racistes, s'embarrasse moins de ses personnages basiques que du caractère des 4x4 qui les transportent : quand la psychologie de George Boss se limite à la neutralité générique de son patronyme, son véhicule aligne, lui, une description technique auto-moto sur plusieurs lignes. Qu'on ne nous parle pas de complaisance dans la violence, car c'est au prix de l'excitation malsaine qu'il y a à lire certains passages que se paie la réussite d'un tel texte. Qui bascule dans son épilogue vers la parabole d'un monde où l'homme se serait perdu, incapable de produire quelque sens que ce soit, y compris celui de l'orientation. Les personnages ont tous disparu au bout de fausses pistes et accidents de parcours ; seul reste, “juché sur la pointe d'un rocher sculpté par le temps, un animal fabuleux à tête d'homme (qui) contemple l'espace”. De même, la lecture s'est trouvée déroutée. Seule solution : relire ce texte monstrueux à la lumière de son emblème énigmatique.

 Laurent Goumarre