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Sniper

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 Sniper n'est pas un livre sur la guerre. C'est un livre de guerre. Armé d'une écriture de combat. Intransigeante. Chirurgicale. Inhumaine. "Je participe à ce conflit pour éliminer cette anomalie porteuse de paroles insensées qu'est l'homme", concède un tireur embusqué, le "Sniper" du récit, qui s'applique à un obsessionnel massacre des survivants. Cette "parole insensée", accusatrice, est celle de Pavel Hak. Écrivain né en Tchécoslovaquie en 1962, exilé en France depuis une quinzaine d'années, il inflige à sa littérature, écrite en français, l'épreuve de la cruauté et de la bestialité. En faction dans le carnage d'une guerre jamais située ni nommée (peut-être en ex-Yougoslavie?), Pavel Hak raconte la déroute des rescapés d'un hameau dévasté - une tribu symboliquement réunie autour d'une muette - et les perversités d'un tortionnaire. Lorsqu'il détaille la rage avec laquelle un homme déterre à coups de hache les cadavres de ses parents incarcérés dans la terre gelée, c'est sa propre hantise que le romancier semble préciser : "Creuser, marteler la terre là où elle cache les crimes, est le seul moyen de découvrir ce qui s'est passé". Comme une malédiction, le monologue du sniper qui traque les vivants hante cette froide autopsie. "Ce que je sais (...), moi LE MONSTRE DE L'INHUMANITE (à présent saisi d'effroi à cause du manque d'explosifs) - c'est que l'humanité entre dans l'ère de l'autodestruction". Brutales, presque insensibles, inspirant parfois la répulsion, les phrases de Pavel Hak ne s'embarrassent pas de remords. "Je suis la violence pure, dit encore le tireur. Mais, étant donné que je remplis une mission (tuer tout ce qui menace notre empire), je suis également au-dessus des qualificatifs moraux". Ce deuxième roman de Pavel Hak, auteur de Safari (Tristam, 2001), est un impitoyable acte d'accusation contre une barbarie. La nôtre.

 Pascal Paillardet