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Sniper

LA GUERRE TELLE QUELLE

 Les mots pour le dire

 Quotidiennement, le petit écran nous informe du court de notre mort programmée : meurtres, viols, exécutions sommaires, génocides, crimes contre l’humanité…
Voyons-nous réellement ce chaos qui crève les yeux? Percevons-nous ce que nous voyons et concevons-nous correctement ce que nous percevons?
Savons-nous réellement ce qui nous arrive? C’est à ces questions brûlantes que Pavel Hak répond.

  Il y a, parmi les écrivains, des résistants de la joie pour nous dire que la vie, dans la barbarie économique, est toujours possible, mais la plupart, aujourd’hui, nouent plutôt leurs fictions à l’horreur qui s’ensuit et s’abat sur le globe.Exilé en France depuis quinze ans, le Tchèque Pavel Hak est sans conteste l’une des plumes les plus détonnantes de notre apocalypse en marche, banalisée qu’elle est par la mise en spectacle généralisée.
Avec Sniper
– son deuxième roman -, Hak nous immerge dans la violence dévastatrice de la guerre, une guerre qu’il choisit de ne pas nommer, le but n’étant pas de se positionner contre un ennemi identifié mais bien de représenter, avec des mots, la monstruosité que peut atteindre l’espèce humaine au nom de l’adhésion démentielle à l’étendard de la race. La puissance du texte, outre son propos, soutenu par un style contrasté multipliant les parenthèses, tient à son agencement en vingt-neuf courtes sections qui nous font suivre, à la manière de l’alternance de scènes de théâtre, différents “protagonistes” de cet acte ignominieux qu’on appelle “purifications ethniques”. Citons en premier lieu le sniper, tireur délite au service des “bâtisseurs de l’ordre”, qui perfuse le roman de son monologue ahurissant de détermination exterminatrice : “Au-delà de l’abjection, je sers l’État. Tirer sur ceux qui incidemment travaillent à la désagrégation est mon devoir. Je vise – j’exécute – tous ceux qui nuisent à notre régime. Je n’ai pas de préférences. Pas de priorité. Soldats, paysans, femmes, enfants, vieillards, peu m’importe. Je fais mon boulot. Et les têtes éclatent.” Citons ensuite les tortionnaires d’un Q.G. surchauffé dans lequel se déroulent des atrocités insoutenables, en particulier sur les femmes, “ces chiennes” qui doivent être réduites en esclavage, car c’est seulement ainsi que “le but de bafouer les Droits de l’Homme” sera atteint. Avant d’être elle-même soumise à la torture, l’une d’elles passe aux aveux et raconte ce qu’on veut qu’elle n’ait pas vu : “une femme à quatre pattes, livrée par derrière à un molosse, bougeait sa tête devant un officier. Et, tandis que les griffes du molosse lacéraient le dos de la femme, le phallus du bourreau (arc-bouté jusqu’à prendre cette couleur violacée de la chair prête à éclater) s’enfonçait dans sa bouche”. Citons l’abyssale douleur de cet homme qui, à la recherche de ses proches, trouve un village brûlé, et se met à creuser la terre gelée d’un champ alentour dans un état avoisinant la folie, parce qu’il prend conscience qu’il est “à la recherche des morts”.
Citons enfin la ténacité de ce groupe de fuyards épuisés par la fatigue et la faim qui tentent d’échapper à l’ennemi et notamment l’héroïsme de cette muette dont on tue le frère au poste-frontière, mais qui parvient à sauver sa fille livrée au sadisme déchaîné d’un soldat.
Contre tous ceux qui se rassemblent si facilement sous la bannière de la haine forcenée et du ressentiment, Pavel Hak oppose la radicalité de son écriture et nous interpelle sur l’avenir de la violence, sachant que la logique d’inhumanité avide d’ordonner le monde n’a que faire du passé et s’appuie sur les temps présents, ces temps dont on vante les dernières avancées technologiques de la domination de la terreur.

 Marie-Stéphane Devaud