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Wu Tse vit dans une société totalitaire dans laquelle, pour survivre, il faut risquer sa vie à chaque instant. Il doit voler des cadavres pour s'en nourrir. Il est solitaire parmi les miséreux. Pas d'amitiés possibles, car le voisin peut être celui qui vous dénoncera aux militaires. Un seul but l'obsède : s'enfuir par le neuve. Passer la zone frontalière est un défi mortel, mais il n'y a plus rien à perdre quand on est désespéré. Qu'est-ce que l'eau glacée, les barbelés, les mines antipersonnel, quand on est déjà presque mort et que seul l'espoir d'un monde meilleur fait vivre. Le réveil est brutal, ailleurs, un ailleurs aussi violent et déshumanisé que le monde d'où il vient. Une petite chambre de 10m2 et vingt-quatre lits occupés par d'autres fuyards. Il faut trimer jusqu'au bout de ses forces dans une mégapole en construction pour gagner l'argent qui permettrait de repartir. Wu Tse rencontre alors un ouvrier différent des autre. Kwan est une femme qui se déguise en homme pour échapper à la prostitution. Désir brutal. Association de désespérés. Meurtre pour trouver de l'argent. Fuite à nouveau, séparation. Le schéma se reproduit. Prisonnier dans une cage, on le destine à être un cobaye de laboratoire. Tuer à nouveau et fuir encore. Fuir les tortionnaires, fuir la fièvre hémorragique. Fuir comme des animaux traqués. Quitter la barbarie pour affronter la nature sauvage et violente et les chasseurs de têtes. Comme une boule d'énergie, Wu Tse surmonte les obstacles. Il a plus de recul que les autres, analyse ce qui l'entoure et développe sa stratégie de survie, Avec des phrases courtes, cinglantes, des dialogues violents, Pavel Hak décrit l'exploitation de l'homme par l'homme. Il appuie sa réflexion sur les sociétés totalitaires dans lesquelles on n'a pas le droit de penser par soi-même et où la fuite ne peut être qu'individuelle, car il y a toujours un traître payé par le régime pour dénoncer ceux qui veulent transgresser les règles. Une seule stratégie possible : subir, encaisser. Les pauvres restent pauvres. Leur rêve de prospérité les transforme en matière première, leur misère fait d'eux des marchandises. De l'Asie à l'Occident en passant par l'Afrique, cette quête désespérée n'est peut-être pas seulement fictionnelle.
Pavel Hak achève la vision tragique qu'il donne de ce monde si proche du nôtre, par une note d'espoir : l'amour entre Wu Tse et Kwan serait-il possible?

 Isabelle Leclerc

Lib. L'Imagigraphe, Paris 11e