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Vomito Negro

Plus fort la vie

 

Pépite de la rentrée littéraire, "Vomito negro" arrive dans nos librairies. Dans ce roman à l'esthétique radicale, Pavel Hak nous fait plonger en apnée dans le rythme battant du monde. Et dit l'irréductible désir de vivre.

 

Angoisse, course, violences. Si l’on imaginait une musique pour accompagner le sixième livre de Pavel Hak, ce serait sans doute les pulsations d’un cœur. D’un cœur qui court contre la montre, qui bat d’angoisse, se serre de rage face aux grandes violences de la vie, se soulève de dégoût ou de haine. Dans Vomito negro, l’écrivain d’origine tchèque et installé à Paris décortique au scalpel les dérives sauvages de notre monde capitaliste : “Première partie : bizness, création d’entreprises, chiffres d’affaires, faillites et autres réalités sous les tropiques des Caraïbes”, “Deuxième partie : organes d’origine humaine et gènes du crime”, “Troisième partie : enquête, squat, caravelles, comportements déviants, détecteur de mensonges, crimes et autres délits”, “Quatrième partie : escadron de la mort”. Un monde obsessionnel du dispositif de sécurité, hérissé de mâchoires menaçantes. Un monde hanté par le souvenir de la traite négrière, suffoquant de cette mémoire qui sature le présent, le présent si semblable, où les hommes, comme les prisonniers sont “vendables, commercialisables”, où leurs prédateurs sont d’autres hommes si peu humains, et “leurs plans n’avaient pas de faille. Vision globale, axée sur des intérêts précis”.

Un jeune homme se lève, en nage, étreint d’angoisse. Echec de ses magouilles. Sa sœur est enlevée. Il part à sa recherche. Course folle, partout. Il entre dans un escadron de la mort. Acquiert un nom. La sœur, Marie-Jo, court elle aussi. Pour sauver son corps, vendu à un richissime libidineux. Pour sauver son cœur, peut-être, convoité par le docteur Godrow “aux yeux de poisson mort”. Godrow qui érige le cynisme en philosophie : “N’est-il pas normal que certains périssent pour que d’autres vivent ? La sélection est à l’origine de toute élite. Telle est la loi inflexible de l’évolution. Et l’élite a droit aux traitements de faveur que la morale commune, si elle était au courant, désapprouverait. Mais la morale commune ignore que la société a besoin d’une classe dirigeante qui vit et fonctionne autrement. Au-dessus des lois, si besoin est”. Meurtre. Nouvelle vie sous nouvelle identité. Ils s’en sortent. “Entrevoyant la lumière. Résolus à vivre”.

La mort en face

On dit que l’homme ne peut regarder en face ni le soleil, ni la mort. Les héros de Pavel Hak montrent le contraire. Le soleil est écrasant sur la jungle où sont capturés les hommes, maintient l’île dans une moiteur accablante. La mort est omniprésente dans Vomito negro. Violences, viols, fantasmes atroces, réalités pires encore. Mais le livre est un chant à la pulsion de vie. Baxter et Marie-Jo s’arrachent aux pesanteurs fatales, aux ratiocinations impuissantes de leur père qui achève de se détruire au rhum sous la poutre où s’est pendue leur mère, “comme si la réalité redevenait trop lourde”. A ces histoires “dont ils avaient marre puisqu’elles les empêchaient de vivre”. Ils refusent leur statut d’exclus, de pauvres vivotant de trafics, de femelles à qui l’on impose la prostitution. Quête de la dignité ? Désir de liberté ? Course pour la survie. Course jalonnée de meurtres, de “terreurs anciennes” et de “peurs irrationnelles”, révélant leurs “instincts de prédateurs”. Importance “d’agir, avec la détermination nécessaire”, car “pleurer n’est pas une solution”. De surmonter les embûches et de déjouer les pièges. L’apprentissage du mouvement même de la vie.

 

Par Kenza Sefrioui